vendredi 1 octobre 2010

Première alerte contre le saccage de la tête de bassin versant de Saint Gengoux le National et propositions de redéveloppement


A l'origine de l'action pour la sauvegarde de l'eau et de son écosystème de tête de bassin, du patrimoine et du dynamisme de la cité médiévale, une lettre écrite sous l'émotion de la découverte du projet de station-service-parking-supermarché dans le lit du ruisseau et un paysage historique... 

La lettre a été largement distribuée à l'époque et depuis. Il n'y eu aucune réaction constructive, aucune écoute, aucun débat, que des fermetures successives - comme celles des commerces locaux. Les symptômes d'une démocratie réduite et détournée par les ennemis du bien commun.




janvier 2008
Oui 2008 ! Et que s'est-il passé depuis, hors l'étude toujours en progrès sur le ruisseau, la cité et la tête de bassin ?


Nous avons eu connaissance d'un projet d'agrandissement du supermarché qui nous stupéfie et nous désole. Une telle réalisation n'épargnerait que peu d'aspects de la vie de Saint Gengoux et de sa région. Ses conséquences néfastes sont aisément prévisibles et le constat permet d'imaginer comment, au lieu de s'abandonner définitivement au grand commerce qui a déjà détruit beaucoup d'activités, redynamiser la vie économique et sociale. Bref, c'est le moment ou jamais de faire quelque chose.

Nous ne connaissons Saint Gengoux que depuis trois ans et demi, mais nous avons déjà vu plusieurs commerces et cafés fermer boutique. C'est beaucoup sur le total initial et c'est étonnamment rapide. Nous avons le sentiment d'un déclin qui ne semble pas avoir suscité de réaction à sa mesure. Le projet de supermarché nous inquiète d'autant plus qu'il s'inscrit exactement dans ce mouvement de régression.

Certains m'ont affirmé que le changement d'emplacement du Maxi Marché ne se traduirait pas par une augmentation de la surface de vente. Ils voulaient se rassurer en niant que cela risquait de nuire au commerce et aux services locaux. Croire qu'une enseigne de la « grande distribution » projette de tels travaux pour faire un magasin identique au premier, qui donc ne rapporterait pas plus, relève du conte de fée. On peut être sûr que ce projet a été longuement mûri par les prospecteurs et le bureau d'études dans le seul but de faire un maximum de profit, donc au détriment des activités existantes.

Cause première du déclin observé, l'enseigne de la « grande distribution » entend maintenant achever le travail commencé. Comme partout ailleurs, il s'agit d'une stratégie de conquête du marché local, à la fois pour capter la clientèle et éliminer les commerçants, les prestataires de service, les artisans, et pour soumettre à une plus forte pression les producteurs indépendants auprès desquels elle s'approvisionne (les boulangers par exemple) – en attendant mieux (1). En la matière, toutes les expérimentations malheureuses ont été faites et l'information abonde. Il serait prudent d'en tenir compte.

Ce projet de « grande surface » menace le pays de Saint Gengoux d’une rupture commerciale et artisanale, sociale, écologique et historique ; une rupture avec l’essentiel de ce qui en fait l’attrait. Activité commerciale, qualité des produits proposés par plusieurs artisans, cultivateurs et éleveurs, beauté des paysages (mais partout malmenés), proximité de la campagne, richesse de la cité médiévale (quoique abandonnée)… risquent de subir durement les conséquences d'une réalisation du projet. Ainsi l’activité commerciale de qualité qui a survécu à l’installation du Maxi marché et l’animation du centre contribuent à attirer et à retenir les visiteurs qui en parlent volontiers (2). Nous en sommes des exemples : c’est après avoir longtemps visité des régions désertifiées par les « grandes surfaces » que nous avons été séduits par les atouts de Saint Gengoux au point de nous installer et de faire restaurer une maison (pour nous, bien sûr, mais aussi dans l’espoir de participer à une remise en valeur générale).

Ce serait un comble que nous soyons contraints de nous replier dans notre quartier parisien d’origine pour pouvoir continuer à profiter d’une vie de village avec artisans-commerçants, bons produits, cafés, animation et vie sociale… Enfin, de tout ce qui aurait définitivement disparu à Saint Gengoux, comme dans les plus de 20 000 autres communes françaises désertifiées par la « grande distribution » et les mauvais usages de l'automobile !

Si l’activité artisanale et commerciale traditionnelle déclinait encore et que le site soit dégradé par une zone commerciale industrielle, l’intérêt de la cité et de ses environs en serait très amoindri. Les possibilités de développer le tourisme et de redonner vie et lustre à la cité s’éloigneraient pour très longtemps. Cela serait vraiment dommage au moment où s’affirme la demande pour les bons produits, les marchés et les commerces traditionnels, où des producteurs de plus en plus nombreux font l'effort de renouer avec la qualité, au moment où de nouvelles relations se développent avec un succès croissant entre producteurs et consommateurs, et où, moyennant un peu de bonne volonté, l'on pourrait tenter d'autres améliorations. D'autant que, comme le démontre l'activité du petit marché du mardi et du samedi, il existe un potentiel qui ne demande qu'à s'épanouir – pourvu qu'on ne le sabote pas. Saint Gengoux et sa région se seraient engagés exactement dans le sens inverse de ce mouvement qui correspond à l'évolution nécessaire pour sortir des différentes crises désormais à peu près identifiées.

J’imagine au contraire que c’est en travaillant la complémentarité et la diversification de l’artisanat et du commerce, en permettant le développement de la vie économique et sociale locale, que l’on pourrait attirer plus de visiteurs – et de subventions, peut-être (comme à Brancion) -, donc sauvegarder la cité médiévale et son environnement, stimuler leur restauration, et en faire un point d’attraction complémentaire avec Brancion, Cluny, Chapaise, Cormatin, la Voie Verte (l’axe nord-sud du réseau cycliste européen en cours de réalisation, tout de même !), Etc. Les ressources et les énergies existent. Nous avons, par exemple, la chance de compter des producteurs de bons produits qui ne demandent qu'à se développer et à vendre directement aux habitants. Nous avons encore sous les yeux les exemples du développement de la coopérative bio de Joncy et du succès du nouveau magasin bio de Cluny... C'est encourageant, stimulant et cela donne des idées... D'ailleurs, une occasion de développer quelque-chose allant dans ce sens se présente avec le déménagement des établissements Guillemet. Tout à côté du centre, les terrains qui seront prochainement libérés offrent des espaces idéals pour des activités artisanales et commerciales augmentant l'attrait de la cité (3).

Un redémarrage des activités et une mise en valeur de la cité qui soient profitables à tous sont possibles... Pourvu qu'on ne les sabote pas d'emblée avec l'agrandissement du supermarché !

Je n’ai entendu qu'un argument en faveur d’un déplacement du Maxi-marché : l’insuffisance du parking actuel (en effet, il n’a pas d’espace pour les vélos). Tout le reste paraît sans fondement, de l’ordre des illusions véhiculées par la propagande de la grande distribution - tandis qu’elle est la première responsable de l’augmentation des prix depuis une dizaine d'années au moins (Nouvel Observateur de décembre dernier), qu’elle étrangle les producteurs, force aux délocalisations, réduit la diversité de l'offre et dégrade la qualité à tous les stades. Rien que des prétextes à agrandissement suggérés par l’enseigne, en somme.

Donc, pour désamorcer le projet de façon positive, n’y aurait-il pas une possibilité d’accroître simplement la capacité de stationnement des automobiles autour du Maxi actuel ? Sans aucun doute.

Le projet est aussi plus que contestable aux points de vue esthétique et écologique. Il vise un lieu particulièrement inapproprié à ce genre d'installation.

La construction d’un hangar classique (avec son parking, sa station-service, son entrepôt) ruinerait définitivement l’une des deux ou trois belles perspectives sur le village. L’approche de la cité médiévale en serait gâchée.

Le magasin, l’entrepôt et le parking enterreraient définitivement le lit du ruisseau de la Jouvence, c’est à dire une zone agricole humide (inondable, d’ailleurs) qui, en bonne logique esthétique et environnementale, doit être préservée (4). C'est la pire utilisation que l'on puisse imaginer pour un tel endroit.

La réalisation d’un supermarché, surtout en ce lieu, avec parking et station service (5), renvoie à l’histoire déjà longue des dégradations précédentes. Casse et enterrement de la Fontaine de Jouvence, des Fossés, des ponts et des cours d’eau, cimentage façon égout du ruisseau de Nolange, assèchement de l'étang qui existait en amont, destructions de belles parties intérieures et de bâtiments complets, mauvais traitements infligés au bâti ancien jusqu'à maintenant… donnent l’impression d’un long acharnement pour gommer l’histoire de la région, le bon travail des anciens, la beauté des architectures et des paysages.

La vallée de la Jouvence et la Cité médiévale méritent nettement mieux. Proche du centre, facilement accessible même par les résidents de la maison de retraite, l'espace convoité par le grand commerce pourrait facilement retrouver son caractère et son utilité en étant aménagé en jardins (jardin naturel, jardin communautaire, jardin éducatif pour les enfants, parcelles particulières…). Pourquoi des jardins à la campagne ? Pour répondre à un vrai déficit dû à la forme de la cité médiévale et à la destination différente de la plupart des terrains alentour. J'ai déjà rencontré des gens qui sont en manque de jardin, tant pour avoir un but plaisant au quotidien et rencontrer les autres que pour raisons économiques (qui avec les crises en développement ne feront que croître). Différents types de jardins sont développés partout avec grand succès... Cela devrait marcher aussi à Saint Gengoux, d’autant que nous pourrions bénéficier des autres expériences.

Une autre idée m'a été inspirée par l'insuffisance des équipements d'épuration des eaux usées situés un peu plus loin, après la Tour des Archers (6). Or, cette vallée est le lieu idéal pour développer l'existant probablement à moindre coût, le rendre beaucoup plus efficace, tout en étant esthétique et agréable. Comment ? Grâce aux techniques de lagunage naturel avec espaces plantés successifs (marais reconstitué et bassin). Soyons fous ! On pourrait, alors faire passer le GR (il traverse les bâtiments du moulin du Foulot) en bordure du lagunage et au travers des jardins. Entre moulin, Tour des Archers, pâturages, jardins, lagunage et chemin, cette petite vallée deviendrait un espace préservé très agréable et utile à tous – y compris pour les espèces dont les habitats sont mis à mal en amont comme en aval. Autre avantage : la jonction facile avec la Voie Verte sur le territoire de La Nourue. Un nouveau tracé du GR et le trait d'union avec la Voie Verte réaliseraient la relation protégée et attractive vers le centre qui manque aux promeneurs, rollers, cyclistes et cavaliers.

Qu'en pensez-vous ?


Alain-Claude




(1) Le récent « rapport Attali », qui préconise de supprimer toute entrave à l'implantation des « grandes surfaces » s'inscrit dans cette stratégie. Comme le rappellent les auteurs de "La grande distribution. Enquête sur une corruption à la française", Attali est de ceux qui ont servi la « grande distribution » sur un plateau : doublement des grandes surfaces entre 1981 et 1986/87.

(2) Cependant, les boutiques fermées que l’on devine encore un peu partout permettent de supposer que les victimes du Maxi marché ont été nombreuses. Il serait utile de rafraîchir les mémoires sur ce point pour ouvrir un peu la réflexion. Combien d’artisans et de commerçants ont été victimes de cette implantation ? Combien de familles ? Qu’est-ce qui a été perdu et quelles conséquences jusqu'à maintenant ?

(3) Une grande partie des clients des supermarchés s'imagine faire des économies... Des études de plus en plus nombreuses démontrent le contraire mais elles restent ignorées de beaucoup. Il faut donc tenir compte de l’opinion influencée par la publicité. Aussi, je crois qu'il serait bon pour tout le monde que des producteurs et des commerçants imaginent ensemble les moyens d'offrir au moins des produits de base à des prix attractifs. Cela pourrait prendre la forme d'une offre spéciale pour les gens ayant des revenus modestes, ou d'un système inspiré du fonctionnement des AMAP... Pour cela, il faut au moins que plusieurs producteurs et commerçants s'entendent. La perspective de leur étranglement par la « grande distribution » devrait convaincre les plus indécis de faire un effort. D'autant que ce développement pourrait être stimulant et porteur d'autres initiatives (un bain de jouvence pour la cité !). Une municipalité soucieuse de faire vivre Saint Gengoux pourrait aider et soutenir.

(4) Il est vital d'inverser l'urbanisation qui fait disparaître les terres agricoles (y compris les jardins), les espaces naturels, surtout les espaces humides, sous le béton et le bitume. Avant toute nouvelle réalisation, il importe d'en envisager les inconvénients et, surtout, les alternatives.

Longtemps totalement négligée, au moins en France, l’alimentation des nappes phréatiques par la percolation des eaux de surface dans le sol ne doit plus être réduite mais au contraire améliorée (relation étroite avec le travail de Gérard Mignot sur les moulins à eau). En ces temps de changement climatique rapide et de sécheresses de plus en plus fréquentes et longues, c’est un impératif. D’autant que les mauvaises pratiques agricoles et l’expansion des espaces stérilisés par les constructions font perdre la valeur d’un département agricole tous les dix ans en France. Il est donc plus vital que jamais de reléguer l’assèchement des zones humides et la canalisation des cours d’eau au musée des aberrations. Autre considération : les zones humides sont des espaces de grande diversité biologique qui manquent désormais en France après trop longtemps de destructions. En effet, depuis une cinquantaine d'années, la faune et la flore françaises ont été considérablement réduites. Notre région n’y a pas échappé et la perte est d’ores et déjà dramatique. Souvent paysans, les chasseurs sont de ceux qui constatent et déplorent la raréfaction de la faune. On devrait pouvoir les associer à des projets de restauration.

(5) A proximité du cours d'eau et de la nappe phréatique, un lieu idéal pour polluer large et profond !

(6) Au sortir de l'équipement actuel, les eaux ne peuvent être utilisées même pour arroser les jardins. Elles polluent la rivière qui coule vers le moulin du Foulot puis le moulin de Messeau.





Une étude éclairante sur le sujet :
"La grande distribution. Enquête sur une corruption à la française", Jean Bothorel et Philippe Sassier, Bourin éditeur.
L’histoire de deux communes proches l’une de l’autre devrait retenir l’attention des Jouvenceaux et de leurs voisins… Voici un passage particulièrement intéressant du livre de
Bothorel et Sassier :

(...) On pourrait citer des milliers d’exemples de bourgs, de petites villes qui se meurent, étouffés par la présence à l’entrée et à la sortie des supers ou des hypermarchés. Pourquoi beaucoup de maires se révèlent-ils incapables de résister à cette invasion ? Comme l’Etat, ils ont les moyens juridiques de le faire. Alors, pourquoi ?

De ce point de vue, les cas de Maringues et de Puy Guillaume dans le Puy de Dôme sont intéressants. Maringues, cette ravissante et pittoresque ville de tanneurs où fut tourné Uranus avec Gérard Depardieu, est flanquée de trois grandes surfaces. Quand on s’y promène, un sentiment étrange vous traverse et on se demande si les Maringuais ont fui pour quelque exil. A quelques kilomètres de là, Puy Guillaume, sans charme, offre une animation, une activité étonnante. Pourquoi un tel contraste ? Maringues a un maire socialiste. Puy Guillaume aussi : un maire qui s’appelle Michel Charasse (…) Il déteste la grande distribution et dans aucun cas, aucun lieu, à aucun moment, il ne lui fait la moindre concession (…) :
« Chez moi, à Puy Guillaume, je leur ai dit Niet. Non aux grandes surfaces mais aussi aux succursales et à toutes les formes de commerces multiples qui sont des faux nez de la grande distribution. Tous les maires peuvent résister. Mais ils sont fascinés par les rentrées fiscales, par les cadeaux divers et variés que leur promettent les patrons des enseignes… En revanche, ils ne calculent pas tout ce qu’ils vont perdre, tout ce qui sera détruit dans leur commune. A Puy Guillaume, j’ai fait un POS dans lequel existe, conformément à la loi, ce qu’on appelle une réserve commerciale, c’est à dire des terrains sur lesquels peuvent s’implanter des commerçants. Mais par délibération du Conseil Municipal, ces terrains appartiennent à la commune. Donc, c’est moi qui décide de vendre ou pas. Et je ne vends pas à la grande distribution. C’est clair et c’est simple » (...).

Suit la relation croustillante d’une tentative de corruption par les représentants d’une enseigne…

Ce témoignage contredit le discours souvent entendu sur l’impuissance des communes, lequel nourrit un fatalisme qui ne profite qu’aux spéculateurs. Il y a, au contraire, beaucoup de possibilités pour échapper au pire et, surtout, faire bien vivre une commune et ses environs. Pourquoi pas à Saint Gengoux ?