A l'origine de l'action pour la sauvegarde de l'eau et de son écosystème de tête de bassin, du patrimoine et du dynamisme de la cité médiévale, une lettre écrite sous l'émotion de la découverte du projet de station-service-parking-supermarché dans le lit du ruisseau et un paysage historique...
La lettre a été largement distribuée à l'époque et depuis. Il n'y eu aucune réaction constructive, aucune écoute, aucun débat, que des fermetures successives - comme celles des commerces locaux. Les symptômes d'une démocratie réduite et détournée par les ennemis du bien commun.
janvier
2008
Oui 2008 ! Et que s'est-il passé depuis, hors l'étude toujours en progrès sur le ruisseau, la cité et la tête de bassin ?
Nous
avons eu connaissance d'un projet d'agrandissement du supermarché
qui nous stupéfie et nous désole. Une telle réalisation
n'épargnerait que peu d'aspects de la vie de Saint Gengoux et de sa
région. Ses conséquences néfastes sont aisément prévisibles et
le constat permet d'imaginer comment, au lieu de s'abandonner
définitivement au grand commerce qui a déjà détruit beaucoup
d'activités, redynamiser la vie économique et sociale. Bref, c'est
le moment ou jamais de faire quelque chose.
Nous
ne connaissons Saint Gengoux que depuis trois ans et demi, mais nous
avons déjà vu plusieurs commerces et cafés fermer boutique. C'est
beaucoup sur le total initial et c'est étonnamment rapide. Nous
avons le sentiment d'un déclin qui ne semble pas avoir suscité de
réaction à sa mesure. Le
projet de supermarché nous inquiète d'autant plus qu'il s'inscrit
exactement dans ce mouvement de régression.
Certains
m'ont affirmé que le changement d'emplacement du Maxi Marché ne se
traduirait pas par une augmentation de la surface de vente. Ils
voulaient se rassurer en niant que cela risquait de nuire au commerce
et aux services locaux. Croire qu'une enseigne de la « grande
distribution »
projette de tels travaux pour faire un magasin identique au premier,
qui donc ne rapporterait pas plus, relève du conte de fée. On peut
être sûr que ce projet a été longuement mûri par les
prospecteurs et le bureau d'études dans le seul but de faire un
maximum de profit, donc au détriment des activités existantes.
Cause
première du déclin observé, l'enseigne de la « grande
distribution »
entend maintenant achever le travail commencé. Comme
partout ailleurs, il s'agit d'une stratégie de conquête du marché
local, à
la fois pour capter la clientèle et éliminer
les commerçants, les prestataires de service, les artisans, et pour
soumettre
à
une plus forte pression les
producteurs indépendants auprès desquels elle s'approvisionne
(les boulangers par exemple) – en attendant mieux
(1).
En
la matière, toutes les expérimentations malheureuses ont été
faites et l'information abonde. Il serait prudent d'en tenir compte.
Ce
projet de « grande
surface »
menace le pays de Saint Gengoux d’une rupture commerciale et
artisanale, sociale, écologique et historique ; une rupture
avec l’essentiel de ce qui en fait l’attrait. Activité
commerciale, qualité des produits proposés par plusieurs artisans,
cultivateurs et éleveurs, beauté des paysages (mais partout
malmenés), proximité de la campagne, richesse de la cité médiévale
(quoique abandonnée)… risquent de subir durement les conséquences
d'une réalisation du projet. Ainsi l’activité commerciale de
qualité qui a survécu à l’installation du Maxi marché et
l’animation du centre contribuent à attirer et à retenir les
visiteurs qui en parlent volontiers (2).
Nous en sommes des exemples : c’est après avoir longtemps
visité des régions désertifiées par les « grandes
surfaces »
que nous avons été séduits par les atouts de Saint Gengoux au
point de nous installer et de faire restaurer une maison (pour nous,
bien sûr, mais aussi dans l’espoir de participer à une remise en
valeur générale).
Ce
serait un comble que nous soyons contraints de nous replier dans
notre quartier parisien d’origine pour pouvoir continuer à
profiter d’une vie de village avec artisans-commerçants, bons
produits, cafés, animation et vie sociale… Enfin, de tout ce qui
aurait définitivement disparu à Saint Gengoux, comme dans les plus
de 20 000 autres communes françaises désertifiées par la « grande
distribution » et
les mauvais usages de l'automobile !
Si
l’activité artisanale et commerciale traditionnelle déclinait
encore et que le site soit dégradé par une zone commerciale
industrielle, l’intérêt de la cité et de ses environs en serait
très amoindri. Les possibilités de développer le tourisme et de
redonner vie et lustre à la cité s’éloigneraient pour très
longtemps. Cela serait vraiment dommage au moment où s’affirme la
demande pour les bons produits, les marchés et les commerces
traditionnels, où des producteurs de plus en plus nombreux font
l'effort de renouer avec la qualité, au moment où de nouvelles
relations se développent avec un succès croissant entre producteurs
et consommateurs, et où, moyennant un peu de bonne volonté, l'on
pourrait tenter d'autres améliorations. D'autant que, comme le
démontre l'activité du petit marché du mardi et du samedi, il
existe un potentiel qui ne demande qu'à s'épanouir – pourvu qu'on
ne le sabote pas. Saint Gengoux et sa région se seraient engagés
exactement dans le sens inverse de ce mouvement qui correspond à
l'évolution nécessaire pour sortir des différentes crises
désormais à peu près identifiées.
J’imagine
au contraire que c’est en travaillant la complémentarité et la
diversification de l’artisanat et du commerce, en permettant le
développement de la vie économique et sociale locale, que l’on
pourrait attirer plus de visiteurs – et de subventions, peut-être
(comme à Brancion) -, donc sauvegarder la cité médiévale et son
environnement, stimuler leur restauration, et en faire un point
d’attraction complémentaire avec Brancion, Cluny, Chapaise,
Cormatin, la Voie Verte (l’axe nord-sud du réseau cycliste
européen en cours de réalisation, tout de même !), Etc. Les
ressources et les énergies existent. Nous avons, par exemple, la
chance de compter des producteurs de bons produits qui ne demandent
qu'à se développer et à vendre directement aux habitants. Nous
avons encore sous les yeux les exemples du développement de la
coopérative bio de Joncy et du succès du nouveau magasin bio de
Cluny... C'est encourageant, stimulant et cela donne des idées...
D'ailleurs, une occasion de développer quelque-chose allant dans ce
sens se présente avec le déménagement des établissements
Guillemet. Tout à côté du centre, les terrains qui seront
prochainement libérés offrent des espaces idéals pour des
activités artisanales et commerciales augmentant l'attrait de la
cité (3).
Un
redémarrage des activités et une mise en valeur de la cité qui
soient profitables à tous sont possibles... Pourvu qu'on ne les
sabote pas d'emblée avec l'agrandissement du supermarché !
Je
n’ai entendu qu'un argument en faveur d’un déplacement du
Maxi-marché : l’insuffisance du parking actuel (en effet, il n’a
pas d’espace pour les vélos). Tout le reste paraît sans
fondement, de l’ordre des illusions véhiculées par la propagande
de la grande
distribution
- tandis qu’elle est la première responsable de l’augmentation
des prix depuis une dizaine d'années au moins (Nouvel Observateur de
décembre dernier), qu’elle étrangle les producteurs, force aux
délocalisations, réduit la diversité de l'offre et dégrade la
qualité à tous les stades. Rien que des prétextes à
agrandissement suggérés par l’enseigne, en somme.
Donc,
pour désamorcer le projet de façon positive, n’y aurait-il pas
une possibilité d’accroître simplement la capacité de
stationnement des automobiles autour du Maxi actuel ? Sans aucun
doute.
Le
projet est aussi plus que contestable aux points de vue esthétique
et écologique. Il vise un lieu
particulièrement inapproprié à ce genre d'installation.
La
construction d’un hangar classique
(avec son parking, sa station-service, son entrepôt) ruinerait
définitivement l’une des deux ou trois belles perspectives sur le
village. L’approche de la cité médiévale en serait gâchée.
Le
magasin, l’entrepôt et le parking enterreraient définitivement le
lit du ruisseau de la Jouvence, c’est à dire une zone agricole
humide (inondable, d’ailleurs) qui, en bonne logique esthétique et
environnementale, doit être préservée (4).
C'est la pire utilisation que l'on puisse imaginer pour un tel
endroit.
La
réalisation d’un supermarché, surtout en ce lieu, avec parking et
station service (5),
renvoie à l’histoire déjà longue des dégradations précédentes.
Casse et enterrement de la Fontaine de Jouvence, des Fossés, des
ponts et des cours d’eau, cimentage façon égout du ruisseau de
Nolange, assèchement de l'étang qui existait en amont, destructions
de belles parties intérieures et de bâtiments complets, mauvais
traitements infligés au bâti ancien jusqu'à maintenant… donnent
l’impression d’un long acharnement pour gommer l’histoire de la
région, le bon travail des anciens, la beauté des architectures et
des paysages.
La
vallée de la Jouvence et la Cité médiévale méritent nettement
mieux. Proche du centre, facilement accessible même par les
résidents de la maison de retraite, l'espace convoité par le grand
commerce pourrait facilement retrouver son caractère et son utilité
en étant aménagé en jardins (jardin naturel, jardin communautaire,
jardin éducatif pour les enfants, parcelles particulières…).
Pourquoi des jardins à la campagne ? Pour répondre à un vrai
déficit dû à la forme de la cité médiévale et à la destination
différente de la plupart des terrains alentour. J'ai déjà
rencontré des gens qui sont en manque de jardin, tant pour avoir un
but plaisant au quotidien et rencontrer les autres que pour raisons
économiques (qui avec les crises en développement ne feront que
croître). Différents types de jardins sont développés partout
avec grand succès... Cela devrait marcher aussi à Saint Gengoux,
d’autant que nous pourrions bénéficier des autres expériences.
Une
autre idée m'a été inspirée par l'insuffisance des équipements
d'épuration des eaux usées situés un peu plus loin, après la Tour
des Archers (6).
Or, cette vallée est le lieu idéal pour développer l'existant
probablement à moindre coût, le rendre beaucoup plus efficace, tout
en étant esthétique et agréable. Comment ? Grâce aux techniques
de lagunage naturel avec espaces plantés successifs (marais
reconstitué et bassin). Soyons fous ! On pourrait, alors faire
passer le GR (il traverse les bâtiments du moulin du Foulot) en
bordure du lagunage et au travers des jardins. Entre moulin, Tour
des Archers, pâturages, jardins,
lagunage et chemin, cette petite vallée deviendrait un espace
préservé très agréable et utile à tous – y compris pour les
espèces dont les habitats sont mis à mal en amont comme en aval.
Autre
avantage : la jonction facile avec la Voie Verte sur le territoire de
La Nourue. Un nouveau tracé du GR et le trait d'union avec la Voie
Verte réaliseraient la relation protégée et attractive vers le
centre qui manque aux promeneurs, rollers, cyclistes et cavaliers.
Qu'en
pensez-vous ?
Alain-Claude
(1)
Le récent « rapport
Attali »,
qui préconise de supprimer toute entrave à l'implantation des
« grandes
surfaces »
s'inscrit dans cette stratégie. Comme le rappellent les auteurs de
"La
grande distribution. Enquête sur une corruption à la française",
Attali
est de ceux qui ont servi la « grande
distribution »
sur un plateau : doublement des grandes surfaces entre 1981 et
1986/87.
(2)
Cependant, les boutiques fermées que l’on devine encore un peu
partout permettent de supposer que les victimes du Maxi marché ont
été nombreuses. Il serait utile de rafraîchir les mémoires sur ce
point pour ouvrir un peu la réflexion. Combien d’artisans et de
commerçants ont été victimes de cette implantation ? Combien
de familles ? Qu’est-ce qui a été perdu et quelles conséquences
jusqu'à maintenant ?
(3)
Une grande partie des clients des supermarchés s'imagine faire des
économies... Des études de plus en plus nombreuses démontrent le
contraire mais elles restent ignorées de beaucoup. Il faut donc
tenir compte de l’opinion influencée par la publicité. Aussi, je
crois qu'il serait bon pour tout le monde que des producteurs et des
commerçants imaginent ensemble les moyens d'offrir au moins des
produits de base à des prix attractifs. Cela pourrait prendre la
forme d'une offre spéciale pour les gens ayant des revenus modestes,
ou d'un système inspiré du fonctionnement des AMAP... Pour cela, il
faut au moins que plusieurs producteurs et commerçants s'entendent.
La perspective de leur étranglement par la « grande
distribution »
devrait convaincre les plus indécis de faire un effort. D'autant que
ce développement pourrait être stimulant et porteur d'autres
initiatives (un bain de jouvence pour la cité !). Une municipalité
soucieuse de faire vivre Saint Gengoux pourrait aider et soutenir.
(4)
Il est vital d'inverser l'urbanisation qui fait disparaître les
terres agricoles (y compris les jardins), les espaces naturels,
surtout les espaces humides, sous le béton et le bitume. Avant toute
nouvelle réalisation, il importe d'en envisager les inconvénients
et, surtout, les alternatives.
Longtemps
totalement négligée, au moins en France, l’alimentation des
nappes phréatiques par la percolation des eaux de surface dans le
sol ne doit plus être réduite mais au contraire améliorée
(relation étroite avec le travail de Gérard Mignot sur les moulins
à eau). En ces temps de changement climatique rapide et de
sécheresses de plus en plus fréquentes et longues, c’est un
impératif. D’autant que les mauvaises pratiques agricoles et
l’expansion des espaces stérilisés par les constructions font
perdre la valeur d’un département agricole tous les dix ans en
France. Il est donc plus vital que jamais de reléguer l’assèchement
des zones humides et la canalisation des cours d’eau au musée des
aberrations. Autre considération : les zones humides sont des
espaces de grande diversité biologique qui manquent désormais en
France après trop longtemps de destructions. En effet, depuis une
cinquantaine d'années, la faune et la flore françaises ont été
considérablement réduites. Notre région n’y a pas échappé et
la perte est d’ores et déjà dramatique. Souvent paysans, les
chasseurs sont de ceux qui constatent et déplorent la raréfaction
de la faune. On devrait pouvoir les associer à des projets de
restauration.
(5)
A proximité du cours d'eau et de la nappe phréatique, un lieu
idéal pour polluer large et profond !
(6)
Au sortir de l'équipement actuel, les eaux ne peuvent être
utilisées même pour arroser les jardins. Elles polluent la rivière
qui coule vers le moulin du Foulot puis le moulin de Messeau.
Une
étude éclairante sur le sujet :
"La
grande distribution. Enquête sur une corruption à la française",
Jean Bothorel et Philippe Sassier, Bourin éditeur.
L’histoire
de deux communes proches l’une de l’autre devrait retenir
l’attention des Jouvenceaux et de leurs voisins… Voici un passage
particulièrement intéressant du livre de
Bothorel
et Sassier :
(...)
On pourrait citer des milliers d’exemples de bourgs, de petites
villes qui se meurent, étouffés par la présence à l’entrée et
à la sortie des supers ou des hypermarchés. Pourquoi beaucoup de
maires se révèlent-ils incapables de résister à cette invasion ?
Comme l’Etat, ils ont les moyens juridiques de le faire. Alors,
pourquoi ?
De
ce point de vue, les cas de Maringues et de Puy Guillaume dans le Puy
de Dôme sont intéressants. Maringues, cette ravissante et
pittoresque ville de tanneurs où fut tourné Uranus avec Gérard
Depardieu, est flanquée de trois grandes surfaces. Quand on s’y
promène, un sentiment étrange vous traverse et on se demande si les
Maringuais ont fui pour quelque exil. A quelques kilomètres de là,
Puy Guillaume, sans charme, offre une animation, une activité
étonnante. Pourquoi un tel contraste ? Maringues a un maire
socialiste. Puy Guillaume aussi : un maire qui s’appelle
Michel Charasse (…) Il déteste la grande distribution et dans
aucun cas, aucun lieu, à aucun moment, il ne lui fait la moindre
concession (…) :
« Chez
moi, à Puy Guillaume, je leur ai dit Niet.
Non aux grandes surfaces mais aussi aux succursales et à toutes les
formes de
commerces multiples qui
sont des faux nez de la grande distribution. Tous les maires peuvent
résister. Mais ils sont fascinés par les rentrées fiscales, par
les cadeaux divers et variés que leur promettent les patrons des
enseignes… En revanche, ils ne calculent pas tout ce qu’ils vont
perdre, tout ce qui sera détruit dans leur commune. A Puy Guillaume,
j’ai fait un POS dans lequel existe, conformément à la loi, ce
qu’on appelle une réserve
commerciale,
c’est à dire des terrains sur lesquels peuvent s’implanter des
commerçants. Mais par délibération du Conseil Municipal, ces
terrains appartiennent à la commune. Donc, c’est moi qui décide
de vendre ou pas. Et je ne vends pas à la grande distribution. C’est
clair et c’est simple » (...).
Suit
la relation croustillante d’une tentative de corruption par les
représentants d’une enseigne…
Ce
témoignage contredit le discours souvent entendu sur l’impuissance
des communes, lequel nourrit un fatalisme qui ne profite qu’aux
spéculateurs. Il y a, au contraire, beaucoup de possibilités pour
échapper au pire et, surtout, faire bien vivre une commune et ses
environs. Pourquoi
pas à Saint Gengoux ?